Les Maisons Ballons de Dakar : Patrimoine en Péril Face à l’Urbanisation Galopante

Les maisons ballons, un patrimoine en sursis Les maisons ballons sont les marques les plus frappantes de la « haussmannisation » de Dakar.Construites au début des années 1950, elles résistent au temps. Cependant, l’urbanisation galopante dans la capitale menace ces bijoux architecturaux fascinants.

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Elles ont inspiré la toponymie de plusieurs quartiers de Dakar : Zone B, Boule Douane aux HLM, ou encore la cité ballon de Ouakam. Leur forme arrondie est la marque d’une architecture novatrice pensée par le Californien Wallace Neff avec la technique brevetée « Airform ». Au total, 1200 ballons ont été construits dans la capitale sénégalaise pour répondre à la crise du logement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elles attirent touristes et architectes venus d’ailleurs
Il est difficile de traverser l’Avenue Dial Diop sans être captivé par ces bâtisses. À la Zone B ou encore à la Zone Ballon, les maisons bulles sont l’identité du quartier. Les bulles sont disposées en suivant le tracé parallèle des rues. Dans ce quartier, plus de cent maisons ballons ont été construites dans les années 1950 pour loger les douaniers, les pénitenciers et les chauffeurs de l’administration coloniale. « Ça ressemble à des cases en milieu Peulh », dit Amidou Diop d’une voix basse. Cet habitant du quartier de Zone B ou Zone Ballon a longtemps été intrigué par la forme des bâtiments. « Depuis l’enfance, je me suis toujours demandé comment des gens ont pu construire des maisons rondes comme des billes », dit-il. Selon Birame, « ça ressemble plutôt à des soucoupes volantes ». « De toute façon, elles sont très rigides et résistantes », ajoute la trentenaire, précisant que leur maison n’a jamais subi de réfection.

Des habitations solides et pratiques
Face aux pluies et aux intempéries, les colonisateurs ont pensé à bâtir des maisons durables et économiques. Ces bâtisses ont été construites avec un ballon gonflable sur lequel sont projetés du fer et des couches de béton. Une méthode rapide, pratique et fonctionnelle. Séparées ou jumelées, les maisons ballons disposent d’un salon, d’une chambre et d’une salle de bain.
Pour Meïssa Tall, habitant de la Zone B, ces bâtiments sont très résistants. « Il est rare de voir des maisons ballons réfectionnées. Je suis né dans le quartier et j’ai également grandi ici. Nos maisons sont restées intactes depuis des années. Il n’y a jamais eu d’effondrement autant que je sache », confie-t-il. Le cinquantenaire explique que la forme circulaire de la toiture empêche les eaux de pluie de s’infiltrer et de fragiliser la structure du bâtiment. Contrairement aux bâtiments classiques avec dalle, à en croire Abdou, les maisons ballons ont la particularité de ne pas s’exposer aux méfaits de l’humidité. « Ce sont de véritables bâtisses qui résistent au climat local », assure-t-il.
Même constat à la cité TP Som. Dans ce quartier coincé entre l’autoroute Limamou Laye et le quartier de Hannvillage, plusieurs maisons ballons ont été construites. Difficile de traverser l’autostrade sans les apercevoir avec leurs dômes décrépis par la poussière. Ces édifices sont plus imposants que ceux de la Zone B et du Point E. Elles étaient réservées aux colons puis cédées aux autochtones après les indépendances. Dans ce quartier, les maisons ballons sont en très bon état. « Il est difficile d’y enfoncer même un clou. Elles résistent à l’usure du temps », lance Moussa d’un ton ironique. Selon cet habitant de la cité, rares sont les propriétaires qui décident de démolir les maisons ballons. « Les bâtiments sont si durs qu’il faut engager des moyens colossaux pour arriver au bout de ces maisons bulles », raconte la quarantaine d’une voix rauque. Les familles n’ayant pas les moyens sont souvent obligées d’intégrer les bâtisses lors des rénovations. « Lors des démolitions, il n’est pas rare de constater que le fer croisé avec le béton est en très bon état. Parfois, il est même réutilisé lors de la reconstruction », précise-t-il.

Des ballons toilettes, ça existe !

À Grand-Dakar, le Soleil darde ses rayons lumineux en cet après-midi. Dans ce quartier populaire de la capitale, les ballons toilettes sont jalousement conservés. Au total, 16 bulles ont été construites, selon la municipalité. Aujourd’hui, il n’en reste que 10 en très bon état, nichés au cœur de la zone destinée aux infrastructures collectives de la commune
Mame Omar Thiaw, dignitaire de Grand-Dakar, est l’un des témoins de la construction de ces édifices. « J’avais une dizaine d’années lorsque les Américains construisaient les ballons du Point E et de la Zone B. Ces ballons toilettes étaient réservés aux habitants déguerpis des anciens bidonvilles centraux de Dakar en attendant la mise en place d’un système d’assainissement collectif. Il s’agit de Potou (actuelle zone industrielle), Sëkk bi, Touba et Tivaouane-Diacksao (actuelle Colobane) », raconte le quadragénaire, dont la famille est l’une des premières à loger dans le quartier.
Aujourd’hui, les toilettes ballons sont sous la responsabilité de la municipalité. Avec la démocratisation de l’assainissement, les toilettes ballons ne sont plus fonctionnelles. « Elles sont laissées dans un état de délabrement. Certains sont transformés en enclos de moutons, d’autres sont fermés. Malgré la rénovation de certaines bâtisses, il faudra aller plus loin. Ces toilettes sont un véritable patrimoine pour notre quartier », estime Pape Ousmane Sy, activiste. Elles peuvent être valorisées, à son avis. « Les bulles peuvent être transformées en galerie d’art ou encore en maison de la culture pour la jeunesse de la commune », recommande-t-il. Toutefois, il craint qu’avec l’urbanisation galopante, ces ballons toilettes soient en sursis.

Des maisons menacées par l’urbanisation galopante

Avec la croissance démographique, les maisons ballons sont menacées de disparition. En 1970, plus de 100 ballons ont été détruits à la cité police (actuelle Amitié 3) puis remplacés par des maisons de la SICAP. Aujourd’hui, les bâtisses font les frais de la spéculation immobilière dans la capitale. À la cité « boule » Douane de Bop, une centaine de maisons bulles ont également fait les frais lors de la reconstruction du quartier au début des années 2000.
Au Point E, quartier résidentiel de Dakar, les immeubles, tous droits sortis de terre, rivalisent en hauteur. Surnommé autrefois « le petit Vésinet tropicalisé », il n’est plus que l’ombre de lui-même. Son riche patrimoine architectural, composé de maisons en pavillon rappelant le passé colonial, est presque tombé en décrépitude, à cause de la pression démographique et de la spéculation immobilière
Le trafic est fluide sur les allées Seydou Nourou Tall, en cette matinée de mercredi 19 juin. On est encore loin de ces journées où le vacarme des klaxons se mêle au ronronnement des engins de chantier. Ici, les maisons ballons sont menacées par l’urbanisation anarchique. Elles étaient une trentaine dans les années 1960. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une dizaine. À la rue de Tambacounda, une bâtisse a été démolie il y a quelques mois. À sa place, un immeuble est en train de sortir de terre. « Les propriétaires n’ont plus le choix. Des sommes astronomiques sont proposées par les promoteurs immobiliers », affirme un résident qui préfère garder l’anonymat. Selon lui, le secteur des maisons ballons, qui était jusque-là épargné, est maintenant convoité. « Elles risquent d’être remplacées par des immeubles si des efforts de conservation ne sont pas faits », alerte-t-il. Une manière de montrer qu’une partie de l’histoire de l’urbanisation de Dakar risque de tomber dans l’oubli.

El Hadji Ibrahima FAYE

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